Mon épouse et moi, nous avons le cœur brisé
non seulement en tant qu'être humains, mais aussi parce que nous habitons chez
vous, en France. Pour 99% d'américains, il y a une distance, une séparation de
ce qui s'est passé à Paris. Mais nous, on comprend votre langue ; on pleure
avec vous lors de la Marseillaise ; on sait ce que votre
histoire vous dit que le mot "guerre" veut dire un conflit entre
nations, pour une cause, avec un début et, heureusement, une fin. Nous
comprenons que massacrer un français à table, c'est la même chose de le tuer à l'église.
Et nous sommes, comme toutes les personnes civilisées dans ce monde, bouleversés.
Je suis également triste parce que je connais
le chemin devant vous. Vous allez entendre des appels de la droite, de la gauche,
du centre, de partout pour beaucoup plus de surveillance. « Liberté »
ça veut dire quoi ? Vous allez en parler. Nous vivons ça depuis 2001 chez
nous, et, malheureusement, suite aux attentats, nous recommençons ce débat aux Etats-Unis.
Déjà, il y a plus de 25 gouverneurs – les chefs d’états de plus de la moitié de
nos états – qui disent qu’ils n’accepteront pas de migrants venant de la
Syrie. Déjà, le chef de la CIA dit que le public américain s’inquiète trop sur
les activités du gouvernement, les activités qui, d’après lui, n’ont qu’un seul
objectif : protéger le peuple américain. (Quant aux américains « normaux »
et le New
York Times, eux, ils pensent autrement que ce monsieur. Comme vous, on
n’aime pas trop quand le gouvernement écoute nos coups de téléphone.) Déjà, on veut surveiller les mosquées.
Je suis arrivé à Paris en octobre 1995, juste après les attentats dans le métro et RER. J’étais jeune à l’époque,
ne comprenant pas trop bien les raisons pour les attentats. Et je me souviens que
je m’inquiétais un peu quand je voyais les poubelles dans le métro et partout à
Paris qui avaient été hermétiquement fermées pour les raisons de sécurité.
Mais pas trop peur. On avait l’impression que c’était quelque chose qui ne
pourrais pas durer, que la vie normale reviendrait, et bientôt.
Le discours en 1995 ne se concentrait pas sur
les grandes questions auxquelles nous faisons face aujourd’hui. Est-ce que « normal »
a changé depuis vendredi ? Je crains que oui, au moins pour les mois à
venir.
Et au même temps, rien ne change ici en
Bourgogne. Les tracteurs passent devant chez moi comme d’habitude. Samedi
matin, tout le monde était à la déchèterie. On n’a pas annulé baby-hand pour
les enfants. La factrice continue de faire son travail. Et franchement, les
gens en parlent peu, préférant de continuer comme d’habitude dans leur vie
quotidienne : aller au marché, discuter la météo chez le coiffeur, aller
bosser. C’est peut être la meilleure – et la seule—façon de faire face aux
tragédies. Je pense que c’est cet esprit humain qui va nous permettre tous de
triompher à la fin. Hélas, cette fin, c’est pas pour aujourd’hui.
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